De retour à El Chalten depuis le 21 janvier nous avons la joie d’y voir la pleine saison touristique … Quelle horreur !
Les auberges et campings sont pleins à craquer , les prix ont subitement doublé , pas de doute El Chalten est victime de la beauté de ses montagnes . Cette ambiance de station balnéaire ne nous plait guère, nous voulons retrouver un peu de quiétude et d’isolement , il nous faut retrouver « nos » montagnes. Malheureusement le mauvais temps a décidé d’y élire domicile, nous sommes piégés dans la vallée. Les jours passent sans qu’une réelle amélioration ne pointe le bout de son nez. La vie dans la vallée nous déprime. Nous décidons de changer nos « critères météorologiques », nous préférons affronter les éléments en montagne que de subir les journées interminables en ville.
Ce samedi 25 janvier nous planifions donc notre prochaine incursion dans le monde magique de ce massif hors normes. L’objectif cette fois sera l’Aiguille Guillaumet par l’un des couloirs qui parcourent sa face sud-est. Lundi 27 janvier nous programmons une longue journée de marche. Longue car premièrement nous devons nous rendre à « Piedra Negra » où nous dormirons , ce qui présente trois grosses heures de marche . Mais de là nous devons nous rendre au pied du Fitz Roy où, il y a de ça un mois et demi, nous avions laissé une tente et deux jeux de friends. Nous avions fait cette dépose dans l’optique de les utiliser peu après pour une ascension dans cette partie du massif , malheureusement la météo ne nous l’a jamais permis. Il est donc temps de voir si notre matériel est sagement resté là et surtout de le récupérer. Depuis « Piedra Negra » il nous faudra donc monter au « Paso del Cuadrado » pour ensuite descendre et prendre pied sur le glacier nord du Fitz Roy que nous remonterons pendant une bonne demi-heure. Une fois le paquet en notre possession , machine-arrière et retour à « Piedra Negra ».
Nous entamons notre marche vers 9 heures , l’air est doux , le ciel parsemé de nuages aux formes improbables, la marche est agréable. La cadence est bonne , rapidement nous sommes à Piedra del Fraile. De là nous quittons le chemin qui longe le Rio Electrico pour entamer la longue montée vers « Piedra Negra » . Chacun à notre rythme nous enchaînons les lacets qui forment la sente. Nous nous sentons bien, l’effort est un plaisir. Bientôt la météo décide d’ajouter un peu de piquant à notre journée, le vent se lève et les flocons commencent à tomber. Enfin « tomber », le verbe est mal choisi, ici ce n’est pas la pesanteur qui régit la chute mais bien le vent. Les flocons ne tombent pas mais volent à l’horizontale! Les lois de la physique sont mises à mal, ici la pesanteur ne répond pas à la formule p = m x g mais bien à p = m x V . « V » étant la vitesse du vent. Monsieur Newton n’en croirait pas ses yeux !
Rapidement tout est recouvert d’un manteau blanc, nos traces sont éphémères, à peine sommes nous passés que déjà le vent et la neige les effacent. Les kairns marquant le chemin sont salvateurs dans cet univers blanc. Un peu après midi nous arrivons à « Piedra Negra », tout est recouvert d’une bonne couche de neige. Il nous sera difficile de trouver un bon emplacement pour la tente ce soir. Nous décidons donc de séparer le groupe en deux. Une personne restera ici à la recherche d’un endroit plat autour duquel il construira des murs de pierres pour l’abriter du vent. Pendant ce temps là les deux autres feront l’aller-retour pour récupérer notre matériel. Les deux groupes sont formés de façon démocratique, autrement dit nous faisons un « pierre-papier-ciseaux ». Le verdict tombe , c’est Olivier qui restera à « Piedra Negra ».
Début d’après-midi Kivik et Logan s’engagent dans la pente en direction du « Paso del Cuadrado », Olivier se met à la recherche du parfait endroit de bivouac. L’après-midi avance, Logan et Kivik sont maintenant au bloc où nous avions caché notre matériel. Ils doivent briser la glace qui s’est formée autour du paquet avant de pouvoir l’extraire de sa cache.
A 18h30, enfin, tout le monde est réuni à « Piedra Negra ». Rapidement la tente est montée . La neige n’a cessé de tomber toute cette après-midi, se faisant charier d’un côté à l’autre par les violentes rafales de vent. Une demi-heure après nous nous engouffrons dans notre cocon de nylon. A peine avons nous ouvert la tente que le vent s’y engouffre et y dépose une couche de neige , recouvrant tout à l’intérieur … la nuit sera humide! De plus cette tente faite pour deux personnes ne nous laisse que très peu de place, logique nous sommes trois .
La soirée n’est pas longue, nous cuisinons rapidement et nous nous glissons au plus vite dans nos sacs de couchage qui, nous l’espérons, sont secs. Il n’en est rien, comme le reste, ils sont mouillés . La nuit s’annonce décidément inconfortable.
Cette soirée humide attaque un peu notre moral , chacun dans notre sac de couchage nous nous posons des questions sur la journée du lendemain. Le vent, lui, ne s’en pose pas et s’abat cruellement sur la mince structure de notre tente faisant claquer la toile avec une cadence infernale.
A quatre heures du matin un bruit strident nous réveille, l’alarme bien sûr. Sans un mot et d’un commun accord nous reportons le moment cruel du réveil dix minutes plus tard. Nous sommes lents ce matin , l’étincelle de motivation qui nous anime habituellement est absente de notre regard. Sans échanger beaucoup de paroles nous déjeunons, nous perdons beaucoup de temps et parfois même nous retombons dans un demi-sommeil.
Finalement à 5h30 Logan ouvre le zip de la tente, devant lui une vision désolante, nos bottines sont recouvertes d’une épaisse couche de poudreuse. La neige s’est même faufilée à l’intérieur de celles-ci. La préparation est un calvaire, nous n’avons qu’une hâte , nous mettre en marche.
Ce que nous faisons à 6H30, laissant derrière nous cette mauvaise nuit. L’effort nous réchauffe rapidement, la rudesse du réveil n’est bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Nous marchons en direction du « Paso Guillaumet ». Le ciel est bleu et, déjà, le soleil enflamme les plus hauts sommets. Seuls quelques nuages déchiquetés témoignent de la violente tempête d’hier.
Nous sommes proches du col , quelques centaines de mètres de pierriers instables, rendus difficiles par la couche de neige qui les recouvre. Le col, déjà bercé par une douce lumière du soleil, nous attire. Nous aurons vite fait de le rejoindre. De là une raide pente de neige nous sépare encore du couloir.
Un « pierre-papier-ciseaux » plus tard , Olivier gagne le droit de prendre la tête dans le couloir. Nous décidons de grimper à « corde-tendue », le couloir n’a pas l’air trop compliqué et de cette façon nous gagnerons beaucoup de temps. L’effort est parfois pénible, la neige ayant recouvert la glace, nous « brassons » pour avancer dans cette couche profonde. Seules le parties les plus raides offrent de la glace apparente. Assez rapidement nous sortons au sommet du couloir. Restent trois longueurs de rocher plus dures qui nous mèneront au pied de la pente finale que nous remontons facilement pour atteindre le sommet.
A 13 heures nous atteignons la cime, comme pour le Fitz Roy les éléments nous offrent une trêve et c’est sous le soleil et sans vent que sommes accueillis au sommet. Nous profitons de ce cadeau de la nature pour grignoter, prendre quelques photos et surtout apprécier le panorama superbe qui s’étale devant nous.
Après une demi-heure la nature reprend ses droits et le vent nous bouscule comme pour nous chasser du sommet.
Nous entamons la descente, prudemment car les premiers rappels sont très exposés au vent et pourraient vite devenir problématiques . Mais c’est sans encombre que nous rejoignons le début des rappels du couloir. Enfin à l’abri du vent nous nous détendons et augmentons la cadence des rappels. En peu de temps nous sommes au pied du couloir. Ne nous reste plus qu’à marcher jusqu’à notre tente. Le vent anime quelque peu notre marche, soufflant parfois avec une telle vigueur que nous sommes obligés de nous asseoir pour ne pas tomber à la renverse!
A 16h30 nous sommes de retour à la tente. Nous sommes heureux de cette belle journée, heureux de ce sommet qui malgré le peu de difficultés techniques qu’il présente n’en reste pas moins une entreprise sérieuse, par son éloignement et son engagement. Une belle croix dans notre carnet de courses , assurément!
Rien dans ce massif n’est facile, chaque sommet se mérite, d’où la valeur que nous leur accordons.
Olivier Z.
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