Cochamo? Jamais entendu parler ? Nous non plus… si ce n’est que cet endroit est appelé « le Yosemite d’Amérique du Sud ».
Cochamo n’est pas en Argentine mais au Chili, à une journée de bus de Bariloche. Nous arrivons sous la drache à ce petit village le long de la mer, un peu perdu : mais où sont les montagnes? Après une nuit et 3h de marche dans une forêt, ressemblant presque à une jungle, avec tout le matos ainsi que la nourriture pour une semaine (120kg de matos en tout, heureusement un cheval était là pour nous aider), nous apercevons enfin les parois. Oh oui elles sont là! Nous ne sommes pas au pied d’El Cap mais presque!
Nous plantons la tente et allons faire sécher nos affaires autour d’un feu. Nous y rencontrons quelques autres trekkeurs, aucun grimpeur, tu m’étonnes avec ce temps! Confirmation au refuge : tous les grimpeurs sont partis grimper en Argentine… Nous, on en vient parce qu’il y fait mauvais… Nous y consultons les topos: que de parois, que de voies mais aussi… quel potentiel d’ouverture il y a encore! Daniel, le propriétaire du refuge et grimpeur-ouvreur lui-même, nous indique les lignes majeures qu’il faut faire en arrivant dans la vallée. Et déjà là, nos yeux intéressés, s’ouvrent bien grands quand il nous parle d’une voie qu’il a ouverte sur Cerro Trinidad, « Las manos del dia » qu’il présente comme LA ligne du coin. Mais surtout, nos mains commencent à frétiller quand il nous parle d’une fissure en toit en dernière longueur, toujours pas tentée et qu’il présente comme faisable et surtout magnifique. Nous avons trouvé notre prochain projet! Mais, il pleut toujours… et il nous faut attendre au moins deux jours pour que la paroi sèche.
3 jours plus tard, nous voilà au pied de la voie après avoir fait l’approche la veille et dormi au « bivi-boulder » à 3h du refuge. C’est une magnifique vallée! D’abord parce que nous y sommes seuls, pas un touriste, seulement des oiseaux aux cris étranges (comme quelqu’un qui est mort de rire…), mais aussi parce que nous sommes entourés par une jungle et des parois de granite parfaites. Jamais bien grandes, 400m max, mais superbes.
Les 350m de la voie s’enchaînent bien et toutes les longueurs sont toutes superbes. Quelques-unes nous marqueront: une traversée de flake (écaille) bien raide, un splitter en n°1 parfait sur 30m et surtout un off-width bien dur pour les deux européens de la cordée… Avant d’essayer le toit, nous parcourons les 400 derniers mètres qui nous séparent du sommet en scrambling. Quel panorama!! Le volcan Ososrno, le Tronador près de Bariloche mais aussi Frey! Mais nous n’y passons pas beaucoup de temps, une fissure vierge nous attend!
A l’attaque! La fissure coupe un toit sur 6-7m pour ensuite sortir dans un dièdre qui semble beaucoup plus facile. Logan gagne le pierre-papier-ciseaux, il sera le premier à essayer. C’est sous les encouragements et au-dessus de 350m de vide qu’il atteint à vue la fin du toit. Malheureusement la fissure est remplie de terre et n’est pas encore sèche… il faudra la nettoyer! Oli fera pareil ensuite. Nous décidons de ne pas sortir dans le dièdre, mais une chose est sûre: nous reviendrons!
Le second objectif, second rêve est bien entendu d’ouvrir une « vraie » voie (pas une variation). Mais pour cela il nous faut faire des provisions de nourriture. Nous retournons donc à Puerto Varas et passons 2 jours dans cette jolie mais touristique ville. Nous logeons chez Alfie, un local super sympa que nous avions rencontré à Cochamo et qui nous fera découvrir sa ville de jour… et de nuit.
Nous acheminons en une journée tout le matos et la nourriture nécessaires pour une semaine d’ouverture au « bivi- boulder ». Le lendemain, nous ouvrons! Les repas précédant les grosses journées sont importants: ce soir c’est pizza faite maison (ou plutôt faite bivi-boulder…). Un régal!
Ayant en tête les parois vierges, ou du moins les lignes vierges, notre choix se porte après une matinée de prospection sur une paroi du Cerro Lagune, presque en face de Las manos del dia. Une ligne toute droite, raide à 15min du bivouac… que demander de plus?
Nous l’attaquons directement. Le plan est d’aller le plus haut possible le premier jour, fixer toutes les cordes qu’on a (250m en tout) et de terminer l’ouverture le jour suivant en remontant sur les cordes installées. La première longueur est ouverte, facile, la deuxième, un peu plus dure mais ça va. La troisième… petit coup de stress, on arrive sur un piton et un coinceur en place… quelqu’un a déjà essayé ou même fait cette ligne… Nous penchons plutôt sur un essai, le mouvement juste après ce relais étant très dur. Nous continuerons sans trouver d’autres traces de passage. Les sections faciles s’enchaînent avec des sections beaucoup plus dures. Ce qui est omniprésent par contre, est la nécessité de nettoyer les fissures, celles-ci étant remplies de terre et de mousse. Du coup, ça devient une routine d’enlever la terre au décoinceur, brosser avec la brosse métallique, placer une protection, pour ensuite faire de même mais pour avoir un endroit où coincer les doigts. C’est presque drôle, surtout quand ce sont des mottes complètes de terre qu’on balance.
Nous ouvrons 5 longueurs cette après-midi. Nous atteignons surtout un endroit d’où nous pouvons juger si la suite est faisable ou pas. Il s’agit en effet de la partie la plus raide de la face, légèrement déversante, dont la ligne de faiblesse va couper un toit. Ca à l’air d’aller. Nous redescendons au bivouac.
Une journée ensoleillée de détente au bord du petit lac qui donne sont nom à la paroi nous fait du bien. Nous en profitons pour construire une chaise de relais en bamboo, la paroi étant tellement raide et sans vire, les relais y sont bien inconfortables.
Un autre festin de veille d’ouverture et nous remontons sur les cordes. Il nous faut terminer la voie dans la journée. Nous profitons quand même de la montée pour un peu nettoyer les fissures des premières longueurs. Une longueur après le hight-point du premier jour, nous voilà au pied de la longueur qui nous intriguait, elle sera sûrement le crux de la voie mais semble surtout magnifique. 10m de fissure à doigts, un mouvement de bloc en traversée sur un flake, 10m de fissure évasée, un pendule et un dièdre plus loin: une longueur magnifique! Nous sommes maintenant sous le toit en plein milieu de la paroi. Le passer se révélera plus facile que prévu mais absolument incroyable! Quelle fissure parfaite! Nous arrivons sur une vire, la première, ce qui nous permet, à 17h, d’enfin manger un bout. Pas le temps de faire la sieste, le sommet n’est pas loin mais il faudra encore 3 longueurs et 300m de scrambling pour l’atteindre.
Ca y est! Nous sommes au CUMBRE!
La récompense ne se fait pas attendre: nous coupons le saucisson et avalons en vitesse les biscuits qui nous restent. Arrive maintenant la partie la moins drôle: la descente. Nous ne savons pas si il existe une ligne de rappel. On sait qu’à droite de notre nouvelle voie, se trouve une face bien raide aussi mais plus courte (c’était d’ailleurs un de nos objectifs avant de se rendre compte qu’aucune ligne évidente n’arrivait au sommet). C’est par là qu’on descendra en 5 longs rappels, en laissant ci et là coinceurs et cordelettes. La nuit tombée nous voilà au sol, bien contents de cette ouverture rectiligne, verticale, soutenue, en rocher parfait, sans avoir placé une seule plaquette! L’alpiniste italien Emilio Comici du début du siècle dernier avait dit: « Je souhaite un jour ouvrir une voie, depuis le sommet laisser tomber une goutte d’eau et celle-ci montrerait le tracé de ma voie », voilà qu’on a exaucé le souhait des anciens.
Vous imaginez bien qu’après avoir atteint, dès notre première semaine en terres patagones, notre objectif premier: le Fitz Roy, toutes nouvelles grimpes sont des bonus! L’ouverture d’une voie était le deuxième objectif du trip: réalisé! Alors comme pour jouir d’un autre bonus, et de terminer au mieux ce séjour au Yosemite d’Amérique du Sud, nous grimpons « Argentrinidad ». Une ligne juste à côté de « Las manos del dia », avec comme idée de nettoyer la fissure tentée une semaine avant et d’en faire la première complète ascension.
Nous nous attendions, aux dires de Daniel, à grimper une voie pas si majeure que ça, il n’en est rien! Dalles techniques, fissures superbes, cheminée, off-width,… tout ce qu’un grimpeur rêve de trouver dans une grande voie en granite y est. Magnifique! De plus, un couple de vautours passeront plusieurs fois à seulement quelques mètres de nous: impressionnant mais encore une fois magnifique!
Nous descendons ensuite nettoyer cette fissure, placer une plaquette à la fin de celle-ci (pour que la corde ne pousse pas les protections dedans) et on réalise directement la première ascension et première en libre de cette variation. Elle s’inscrit dans la continuité de difficultés de la voie et deviendra, d’après Daniel et d’après notre humble avis, une classique de sortie.
Vient maintenant le temps de rentrer en vallée pour mettre tout ça sur papier. Le plus dur est de trouver un nom à ces 2 voies. Nous nommerons la variante de sortie « Desparate mentality », en référence directe à la voie au Yosemite « Separate reality », du même style et de même difficulté technique. Notre nouveau bébé quant à lui se nommera « Surfing the bamboo chair » pour cette chaise en bamboo qui aura été fort utile durant l’ouverture. Nous la lancerons dans le vide au sommet, la verrons planer, comme surfant dans le vent et la retrouverons presque intacte au sol le lendemain.
Daniel nous le confirme par son enthousiasme et sa générosité à notre égard: nous avons vraiment eu un beau séjour, bien rempli! Pourquoi ne pas rester plus longtemps? Parce que nous sommes venus en Patagonie pour Chalten… alors vamos!