L’Inde… Sûrement l’un des pays les plus dépaysants, fascinants et différents par rapport à l’Europe… Mais ce n’est pas pour ces raisons qu’on y a passé 5 semaines… On y va pour ses montagnes, ses sommets vierges de la fameuse chaîne de l’Himalaya, le Kistwar Himalaya pour être exact (Zanskar).
Mes compagnons de cordée sont Sam et Nelson. Le premier, chef d’expé, 30 ans, commence à avoir une grosse expérience d’alpinisme dur et isolé (Répétitions de voies dures, très dures, en Alaska, Patagonie, Himalaya,… Sans parler de ses nombreuses répétitions dans le massif du Mont Blanc). Nelson, 27 ans, est un globe trotter: Norvège, Canada, USA, Australie, Nouvelle-Zélande,… Partout où ça grimpe, surtout en glace, il se sent bien!
Sam et moi partons le 12 septembre de Bruxelles pour Delhi et y retrouvons Nelson qui, lui, vient directement de Nouvelle-Zélande. Quelques formalités administratives auprès de l’IMF (Indian Mountainering Foundation) et nous nous envolons, avec Sangshu, notre officier de liaison, 25 ans, vers Leh, fameuse ville du Ladakh, véritable point de départ de l’expédition
Ranga et Kapil, notre cuistot et aide cuistot (27 et 25 ans), nous retrouvent à l’hôtel. Ce sera donc une expédition jeune! Moyenne d’âge 26 ans!
Après quelques dernières courses à Leh, nous roulons deux jours, d’abord sur des routes goudronnées, ensuite… plus du tout (…) dans la direction de Padum. Sur le chemin, nous passerons par Lamayuru, Kargil (à 10 km de la frontière du Pakistan) et nous arrêtons peu avant Padum, au village d’Angshu .
De là, 10 yacks porteront les 600kg de matériel necessaire aux 22 jours que nous passerons au camp de base (BC).
Il faudra en tout 6h à toute la caravane pour faire les 15km de marche.
Enfin, après 7 jours de trajet (avion, bus, marche) nous arrivons à notre destination finale! Et… c’est pas là où on voulait être, où notre organisateur local nous avait promis d’être… On est une vallée avant celle de notre objectif non-officiel, le Barnaj 1 et ses 6100m jamais gravis. Mais bon… On est en Inde… C’est comme ça…
Le lendemain, l’altitude de 4450m nous impose un jour de repos pour l’acclimatation. Je ne peux quand même m’empêcher d’aller faire un jogging pour atteindre l’altitude symbolique de 4810m. Travailler pendant 4 mois à l’Aiguille du Midi.. Ca aide 😉
Le 20 septembre, nous montons tous les 3 jusqu’à 5200 le matin et passons l’après-midi à 5100 dans notre petite tente, car oui… Il commence à neiger. Ce qu’on ne savait pas encore c’est que ça serait bien pire les jours suivants…
Le lendemain, nous allons dans la vallée du Barnaj pour enfin voir cette montagne et déjà faire une dépose de matériel en vue du camp de base avancé (ABC). La face est magnifique mais hyper sèche comparée à l’unique photo qu’on a d’elle, datant de l’été passé… On verra. Ce qu’on voit surtout c’est que le mauvais temps arrive de nouveau…
Les deux jours suivants seront: neige, vent, neige, vent… En tout il tombera 40cm…
On se dit que ce n’est pas grave, il n’y a que 40 jours de mauvais temps sur l’année ici… Tu parles…
Enfin un relatif beau jour! On sèche tout et on attend cette journée que la neige se stabilise un peu.
On se dit aussi: il fait chaud la journée, froid la nuit, ce seront des bonnes conditions de portance… Bien motivés nous partons le lendemain (le 25) pour le Lagan, 5800m.
Le début est parfait, la traversée de glacier aussi… Mais alors la face de neige… Beaucoup beaucoup de neige sans aucune portance… Ca brasse entre genoux et taille sur toute la montée, d’abord dans une moraine ensuite une pente plus raide, une traversée puis une petite pente finale. Ces 800m de dénivelée, avec tout le matériel de grimpe et bivouac à cette altitude nous ont bien entamés. Nous essayons quand même un peu l’arête avant de devoir en redescendre car trop de neige sur cette arête effilée et encore une fois le mauvais temps qui arrive…
Nous installons notre bivouac vers 5100, juste sous l’arête. Une fois installés on commence déjà à hésiter à rester là pour la nuit vu la météo et la neige qui arrive déjà (on a pas de tente, juste nos sacs de couchage). Nelson est trop « lazy » pour prendre une décision, Sam préfère descendre mais n’a pas envie de tout remballer et je suis « bien chaud » pour mon premier vrai bivouac (sans tente, igloo ou autre). Le lendemain nous nous réveillons avec 1 cm de neige fraîche et une température de -13 (c’est descendu jusqu’à -17 la nuit). On descend vite fait jusqu’au CB… Nous sommes bien entamés par ces 800m de brassage…
Toujours en vue de l’acclimatation et en espérant du meilleur temps, nous prenons 2 jours de repos pour également tout faire sécher (Nelson a passé sa nuit au bivouac dans une petite flaque d’eau entre son matelas et son dos…). Chaque après-midi, le mauvais temps revient…
Le soir du troisième jour (le 29) nous partons de nuit, espérant avoir de meilleures conditions de neige la nuit, pour un sommet vers 6100 jamais gravi. Le Lagan était une face N, on se dit que la face S de ce sommet recevant plus de soleil, la neige fond plus la journée avant de regeler la nuit… Ben ça c’était la théorie… En pratique c’est de nouveau brassage de neige entre genoux et taille… Après 4h de « marche », pratiquement sans dénivelé (il nous en aurait fallu 2 sans neige…) on installe un bivouac, il fait très froid par cette nuit sans nuage.
Le lendemain on continue, toujours en brassant autant, essayant d’aller de rochers en rochers… On dépose tout le matériel à 5800 et partons light pour continuer l’arête menant à un final rocheux. Nos batteries sont déjà bien entamées… On doit renoncer et faire demi-tour juste sous la partie rocheuse, vers 6000m… Il neige, il vente et les nuages qui arrivent sont pires que les actuels. On redescend d’une traite au CB.
Bon… La neige ici, ça fond pas, ça gèle pas… C’est de la m…
Le 1er et 2 octobre, nous restons dans nos tentes pour nous reposer mais aussi à cause de… la météo… On commence à se demander si le Kistwar himalayen ne nous a pas réservé ses 40 jours de mauvais temps…
On décide quand même d’essayer le Barnaj.
Le 3 on marche 1h30 jusqu’à un petit lac où on installe notre ABC. Le départ pour le Barnaj est fixé à 1h du matin le lendemain.
Une nuit reposante plus tard, après un rapide petit déjeuner lyophilisé, on s’en va pour cette belle face.
4h de marche, de temps en temps sans s’enfoncer, souvent en s’enfonçant jusqu’au genou… Super! On est au pied de la face à 5000 et une chose est sûre, l’échauffement était correct (j’essaye de voir le bon côté des choses…)
Sam prend la tête et ouvre une magnifique longueur en glace que nous surnommons directement « the door », en effet on passe sous une arche de glace. C’est la porte d’entrée du Barnaj, l’espoir revient sur la faisabilité de l’ascension car c’est de la glace bien dure sans neige.
Ouais… Jusqu’à la deuxième longueur où, de nouveau, on brasse dans du 50-60 degrés… On monte par des pentes de neige en Z, parfois un peu de glace jusqu’à 5300 (600m en développé). On arrive alors au pied du mur lisse, celui-là même où on espérait trouver quelques fissures pour s’y frayer un chemin. Non là, un mur lisse comme jamais on en n’avait vu auparavant… On traverse encore un peu pour rejoindre une énorme cheminée, point faible de la face. Cheminée légèrement surplombante, nous pensons y être à l’abri des chutes de pierres… C’est un gros bloc de glace-neige qui vient s’exploser à moitié sur mon genou… Super! J’essaye quand même la cheminée en pur mixte mais dois faire demi-tour après seulement quelques mètres, le rocher est beaucoup trop pourri.
On s’explique cette différence de qualité, car cette cheminée est entre deux couches de granit beaucoup plus compact.
On redescend… Mais vu ce rocher bien compact et toutes les traversées qu’on a faites, trouver de quoi descendre fut nettement plus dur que prévu (au dire de Sam et sa grande expérience, la plus dure qu’il ait déjà faite). Faut dire que la quantité de neige n’aide pas! Beaucoup d’Abalakov par contre.
Dès le début de la descente, la neige et le vent se sont évidemment invités… En 30 minutes, tout était plaqué !
Nous rentrons le lendemain au CB…
Le moral n’est pas au plus haut et il reste seulement 6 jours avant de devoir redescendre au village.
Sam et Nelson feront une dernière tentative sur l’arête NW mais devront aussi faire demi-tour à 5200… Je n’irai pas avec eux à cause d’une infection aux dents, la peur du risque d’avalanches et un gros doute sur la faisabilité d’une course tout en neige avec cette neige sans portance.
Le 11 au soir, tout le monde et tout notre matos est au village de Angshu, et c’est parti pour tout le même long chemin en sens inverse avec quelques arrêts culturels dans les monastères de Rangdum et Lamayuru.
Même sans sommet, nous sommes très contents de notre expé. C’était une première pour nous trois d’être dans une vallée presque sans informations préalables, évidemment aucune info sur les montagnes (seulement une photo de mauvaise qualité du Barnaj), et d’être 100% autonomes d’un point de vue montagne (aucune personne connaissant la région, ses aléa climatiques, comment se comporte la neige, pour l’acclimatation, les portages, tous les choix stratégiques, …). C’est très différent de certaines expés ou guides et sherpas ouvrent l’itinéraire et font les choix stratégiques en plus d’aide au portage, et évidemment très différent de Chamonix où toutes les infos sont dans les topos et où d’innombrables cordées fréquentent chaque jour le massif.
Bref, une sacrée expérience pour nous trois, de fameux paysages en mémoire et une super ambiance tant entre nous qu’avec notre équipe « cook » locale.
A propos de « cook », il n’était plus question de nous proposer du riz ou des lentilles à notre retour en Belgique 😉
Cette expé a été possible grâce à nos différents sponsors que nous remercions énormément
– Petzl
– La section Bruxelles-Brabant du Club Alpin Belge
– Les magasins Lecomte Bruxelles-Waterloo
– Le KBF
– Julbo
Encore merci à eux!!!
Merci à Sam pour ses magnifiques photos!